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L’alimentation comme acte social et patrimonial dans les écoles françaises.

  • Dr. Andrea Fesi
  • May 23
  • 6 min read

19 Mai 2025 - 14h/16h (Consulat général de France à Los Angeles). Dr. Andrea Fesi 

(Professeur de Lettres classiques et FLE au Lycée Français de Los Angeles / ph.D. en  Lettres classiques (Paris Sorbonne) - Civilisation grecque (Spécialité histoire et  archéologie de la médecine et de l’alimentation)  


Conference : SCHOOL MEALS IN THE FUTURE – SOLUTIONS, EXPERIENCES, AND  INSPIRATION FROM AROUND THE WORLD 


Manger est un acte fondamental qui dépasse largement sa simple fonction biologique de  nourrir le corps. Il s’agit d’un geste à la fois vital et symbolique, profondément ancré dans les  cultures ainsi que dans les identités individuelles et collectives. En effet, manger restaure la vie,  non seulement sur le plan physiologique, en apportant l’énergie et les nutriments nécessaires à la  survie, mais aussi sur les plans social et psychologique, en créant des moments de partage, de  plaisir et d’affirmation de soi. Cet acte mobilise tous les sens, évoque des souvenirs et des émotions, et s’inscrit dans des rituels et des codes culturels qui font de la nourriture un véritable langage symbolique. Ainsi, manger est à la fois un besoin biologique, un acte social, un plaisir sensoriel et une expérience identitaire. Peu importe que l’on dise « syödä (sü-œ-dä) » en finnois, « τρώω (tróo) » en grec moderne, « comer » en portugais brésilien ou « manger » en français, c’est  un acte qui nous caractérise, quel que soit notre statut social ou notre localisation géographique. 


Déjà dans les sources grecques, nous constatons le lien étroit entre cet acte et l’univers éducatif.  En Crète, au IVe siècle avant notre ère, les syssities avaient pour fonction d’éduquer les futurs  citoyens aux règles communautaires : tous les garçons, avant la majorité, devaient se placer à la  droite du père et recevoir la moitié de la portion de nourriture destinée à celui-ci. Ceux qui étaient  orphelins de père avaient droit, en revanche, à une portion entière, moins les condiments, en  rappel des difficultés que la vie devait leur réserver. À Rome, le convivium remplissait un rôle  similaire : ces repas étaient l’occasion d’enseigner les bonnes manières, la hiérarchie sociale et de  transmettre les traditions familiales. Les enfants y apprenaient leur place dans la famille et la  société, souvent en observant et en imitant les adultes. Des siècles plus tard, l'organisation de  repas communautaires pour assurer le bien-être physique des plus jeunes s'impose comme un  impératif social également en France. La première cantine scolaire française voit le jour en 1844 à  Lannion, où un notaire organise un repas collectif pour des enfants nécessiteux, marquant le  début d’une démarche caritative locale. À Paris, dès 1849, la Ville distribue de la nourriture dans  les écoles et crée la première « caisse des écoles » pour soutenir l’aide alimentaire. À la fin du  XIXe siècle, l’idée de la cantine scolaire se développe dans les grandes villes, mais reste limitée à  des initiatives locales, principalement destinées aux enfants pauvres ou à ceux qui ne pouvaient  rentrer chez eux à midi.  


Cantine scolaire (rue de la république, Brest).


Débuts du XXe siècle : structuration progressive 

Après les lois Jules Ferry (1882), qui rendent l’école laïque et obligatoire, Paris offre une aide  alimentaire aux élèves pauvres, mais la cantine reste réservée aux familles nécessiteuses. En  1907, l’obligation de créer une caisse des écoles par ville est réaffirmée, renforçant l’organisation  de la restauration scolaire, surtout à Paris. Les repas sont alors simples, peu variés et servis dans  des conditions précaires, souvent dans des préaux ou des locaux non dédiés. 


Entre-deux-guerres et généralisation  

La crise économique des années 1930 entraîne une forte augmentation du nombre de cantines,  notamment en ville : en 1938, la France compte environ 9 000 cantines scolaires. En 1936, la  construction d’un réfectoire devient obligatoire dans chaque nouvelle école, et les établissements  existants doivent s’adapter. Malgré cette progression, la qualité nutritionnelle reste faible et  l’accès n’est pas universel. 




Après-guerre : vers une restauration scolaire structurée 

Après la Seconde Guerre mondiale, la lutte contre la malnutrition infantile devient une priorité  nationale. La loi de 1947 pose les bases d’un système plus structuré, avec une attention  croissante portée à la qualité nutritionnelle des repas. En 1956, la consommation d’alcool est  interdite dans les cantines pour les enfants de moins de 14 ans, puis totalement en 1981. 


Modernisation et standardisation (1960-2000)  

L’introduction des premières cuisines centrales en 1969 permet une meilleure gestion et  standardisation des repas. En 1971, la restauration scolaire devient obligatoire dans les écoles  primaires, garantissant l’accès à un repas pour tous les élèves. En 1981, une loi garantit un repas  chaud par jour dans toutes les écoles primaires françaises. En 2001, le Programme National  Nutrition Santé (PNNS) met l’accent sur la qualité nutritionnelle et la lutte contre l’obésité infantile. 


Shuttertsock.


Innovations récentes et perspectives.  

Depuis les années 2010, la restauration scolaire s’oriente vers des repas plus sains, équilibrés et  durables, avec des plans nationaux pour améliorer la qualité et réduire le gaspillage alimentaire.  La technologie joue également un rôle croissant dans l’organisation des cantines, avec des outils  de gestion et de suivi nutritionnel. Néanmoins, malgré des projets et d’initiatives visant à  sensibiliser les enfants au gout des produits non transformés au niveau national ou local, nous  sommes encore loin d’une prise de conscience effective des codes et des origines culturelles de  certains savoir faire ou de certains produits. Approfondir les dimensions culturelles de l’alimentation permet d’engager une réflexion sur les pratiques quotidiennes (cultiver, transformer,  acheter, cuisiner, manger) et les représentations ou discours (le «bien manger», la gastronomie, les  livres de cuisine, etc.) d’une société, associées au fait alimentaire. Une lecture culturelle des  pratiques alimentaires permet d’expliciter le lien étroit entre «l’art du bien manger» associé au  plaisir et à une pratique sociale ritualisée, et la formule hippocratique «Que ta nourriture soit ta  première médecine». Répondre à la faim ne signifie pas simplement nourrir un corps. Le fait de  manger enclenche des processus sociaux et culturels riches animés par la volonté de vivre  ensemble, de partager, d’être attentif à l’autre. La dimension patrimoniale de l’alimentation  interroge la transmission des cultures alimentaires à l’œuvre au sein des sociétés. Ainsi, la  dimension culturelle et patrimoniale de l’alimentation invite à aborder les processus et les  contextes (histoire, géographie, anthropologie, sociologie, systèmes économiques) au sein  desquels les pratiques alimentaires individuelles et collectives évoluent et interagissent au  quotidien. Le patrimoine alimentaire et culinaire français comprend des éléments matériels et  immatériels : la diversité des produits agricoles, l’excellence des pratiques et des savoir faire  développés par les professionnels du secteur, sont le reflet des terroirs. L’histoire et la notoriété  de l’alimentation en France et dans ses territoires, l’attachement collectif au repas, les pratiques  sociales, la commensalité et les représentations symboliques relatives à l’alimentation sont autant  de valeurs immatérielles qui s’attachent aussi à ce patrimoine. Éduquer à l’alimentation et au goût  est donc l’occasion de mobiliser les représentations, les pratiques et les cultures alimentaires de  chaque élève. En partant du vécu de chaque élève, il est plus facile de mobiliser l’ensemble des  dimensions de l’alimentation et ainsi d’éviter de présenter l’alimentation comme seul déterminant  de santé ou comme seul objet de consommation. Parmi les innombrables cultures alimentaires  propres aux ressources et aux héritages des sociétés du monde entier, se trouve notamment le  «repas à la française». L’inscription en 2010 par l’Unesco du repas gastronomique des Français  sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité consacre une pratique  sociale destinée à célébrer les moments les plus importants de la vie, tels que les naissances,  mariages, anniversaires, succès et retrouvailles. 


La formule « l’alimentation est un patrimoine culturel » – en France comme ailleurs – est  aujourd’hui largement reconnue dans les sciences sociales et l’anthropologie alimentaire, sans  être pour autant attribuée à une seule personne de manière précise ou célèbre. De nombreux  chercheurs, tels que Claude Fischler, anthropologue et sociologue français spécialiste de  l’alimentation, ont montré que manger dépasse la simple fonction biologique : il s’agit d’un acte  profondément ancré dans des pratiques culturelles, sociales et symboliques. En définitive,  l’alimentation ne se réduit jamais à un simple acte de subsistance : elle constitue un puissant  vecteur de lien social, de transmission culturelle et d’affirmation identitaire. À travers les époques  et les sociétés, partager un repas, transmettre des savoir-faire culinaires ou célébrer les grands  moments de la vie autour de la table, c’est perpétuer un patrimoine immatériel qui façonne notre  rapport aux autres, à la nature et à nous-mêmes. Il est donc essentiel de transmettre ces  pratiques et ces valeurs dès le plus jeune âge. Comprendre et valoriser la dimension culturelle de  l’alimentation à l’école peut ainsi ouvrir la voie à une réflexion collective et globale, présente et future, sur nos modes de vie, nos choix alimentaires et notre capacité à bâtir une société plus  solidaire, consciente de ses racines et tournée vers un avenir durable.





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